Le samedi 12 Juillet 2014 Florina une jeune Française de 20 ans , rencontrait pour la première fois ses parents biologiques dans un campement de Roms près de Paris.
Grâce aux numéros de téléphone que m'avait donné sa grande soeur retrouvée en Roumanie, elle avait pu, huit jours avant, les contacter. Elle leur avait envoyé un SMS auquel ils n'avaient pas répondu et elle n'avait pas osé les relancer de crainte d'être éconduite.
Entre temps la grande soeur leur avait téléphoné depuis la Roumanie pour leur annoncer l'incroyable nouvelle : l'enfant qu'ils avaient donné à un orphelinat et dont ils n'avaient plus jamais eu de nouvelles, se demandant toutes ses années si elle était toujours vivante, était "revenue" et elle allait les contacter !
Au cinquième soir, Florina avait reçu un appel. Au bout du fil, la voix d'un homme mûr, une voix grave et éraillée, usée: - "Florina ?... Florina, je suis ton père..."
- "Papa !" avait-t-elle eu le temps de s'exclamer avant de fondre en larmes.
Ils s'étaient donnés rendez-vous à Paris pour le sur-lendemain.
Craignant que Florina ne se perde dans leur campement qui abrite pèle-méle plus de 300 familles Roms, ils avaient proposé de la rejoindre devant une gare. C'est la mère et une de ses filles qui étaient venues la chercher. Florina était accompagnée de Sébastien, son petit ami. Tous ensemble se sont rendus en voiture "à la maison", un vieux mobil home surmonté d'un haut-vent où l'attendait, bras ouverts, tout un comité d'accueil.
Il avait beaucoup plu et les allées entre les bicoques étaient transformées en bourbier. Qu'à cela ne tienne ! Florina, qui a grandi dans le confort, sait s'adapter. Elle avait prévu les grosses bottes !!
Florina et son papa adoptif |
Le papa adoptif de Florina l'a beaucoup soutenue dans cette démarche. Il est fier de sa petite princesse et heureux d'avoir contribué avec son épouse, à faire d'elle une jeune femme libre, aimante et qui a le courage de ses convictions !
6 jours après la rencontre avec ses parents biologiques, Florina publiait la photo ci-contre sur sa page Facebook avec en légende :
"Papa merci pour tout ce que tu m'as apporté, tu es vraiment Génial !"
A l'heure où tant de gens s'écartent du trottoir ou tournent la tête à la vue d'un Rom, Sébastien, lui, n'a pas craint de l'accompagner dans un camp de gitans. Chacun à su mettre l'autre à l'aise et, passé l'émotion de la rencontre et la présentation des 4 frères et sœurs plus jeunes, tous se sont mis allègrement à préparer un repas. Il n'y avait pas de champagne ni de porcelaine mais ce jour là, la nourriture avait le goût du bonheur. Au moment de partir, la famille leur a offert de modestes cadeaux.
En rentrant, Florina écrira sur page fancebook :
"Jounée inoubliable! plein d'émotions... C'était juste parfait. Heureuse!
Florina et Sébastien |
Florina nous raconte son parcours :
J'ai été placée à l'orphelinat à l'âge de 2 mois et adoptée à 5 ans, en 1999, par une famille française. je souffrais d'une malformation aux pieds qui m'empêchait de marcher et, en France, c'est dans un petit fauteuil roulant que j'ai effectué mes premiers mois à l'école maternelle. Puis j'ai bénéficié d'un opération qui m'a permis de marcher, courir et même danser ce qui est une de mes passions !
Du fait de ma couleur de peau mes parents adoptifs m'avaient très tôt révélés mes origines rom sans manifester de gêne vis à vis de cela. Je trouvais naturel que des parents dans une grande précarité, peu importe leurs origines, décident de donner un de leurs enfants à un couple qui ne pouvaient pas en avoir et qui vivait dans de meilleures conditions. Donc dans mon esprit Je n'avais pas été abandonnée par désamour mais donnée faute de pouvoir me garder. Mes parents adoptifs m'ont permis de ne pas développer de rancœur ou de honte vis-à-vis de mes premiers parents.
Par contre je n'ai jamais compris ce qui pouvait empêcher les seconds parents de permettre à leur enfant de maintenir un lien, même très distant avec les premiers parents. Comme échanger une photo une fois l'an. Je sentais que le sujet était tabou.
Puis les choses se sont gâtées à l'adolescence. Maman étant de nature à s'emporter facilement, dans ces moments là elle ne maîtrisait pas toujours ses propos. Je crois que ses mots dépassaient parfois sa pensée mais sur le moment c'était pour moi un douloureux signe de rejet. Je culpabilisais de ne pas être à la hauteur de ses attentes, je me sentais être comme un boulet et ça ne m'aidait pas, j'étais mal dans ma peau. Je comprends à présent que ce n'est n'est pas toujours facile d'élever un enfant surtout si à côté de ça on a aussi des soucis de travail, de couple ou tout simplement qu'on n'a peut-être pas sois-même résolu ses propres difficultés existentielles . Je reconnais que je n'étais pas non plus l'adolescente de rêve qui passe son temps à bûcher et qui range tous les matins sa chambre! Par chance, papa savait mieux m'encourager et me rassurer.
J'avais toujours eu le secret désir de connaitre mes parents biologiques. Non pour revenir vivre avec eux car je suis très attachée à mes seconds parents, mais dans mon cœur il restait une place vide, un mal-être qui grandissait, dû à l'absence de racines et à milles questions qui restaient sans réponse.
Le fait d'être d'origine roumaine et, qui plus est, tzigane, ne m'a jamais posé problème. Je suis typée rom et ça ne m'a jamais empêché d'avoir des amis. Personne n'a jamais tenu de propos racistes à mon égard alors que certains parfois en tenaient à propos des roms en général...
C'est vrai que quand j'entendais aux infos des histoires de vols de métaux par des roms, je n'étais pas très fière. Étrangement, quand 10 000 euros de métaux étaient volés cela me marquait davantage que quand un homme politique détourne 1 000 000 d'euros....
Il y a 2 ans, en cherchant sur internet, j'avais trouvé une discussion où un adopté roumain demandait des conseils à une dame. Craignant d’offenser mes parents s'ils voyaient que je recherchais mes origines, J'avais alors envoyé un mail privé à cette dame. Ce n'est qu'1 an plus tard qu'elle s'est aperçue par hasard qu'elle n'avait jamais ouvert ce vieux message. Elle a voulu alors me répondre mais entre-temps, j'avais changé d'adresse de messagerie. Elle m'a retrouvée sur facebook et nous avons pu ainsi discuter. Cette personne, c'était Nadine qui venait juste de créer avec Laura le site lesadoptésderoumanie.weebly.com où je me suis aussitôt inscrite. Quelques jours après Nadine m'appelait pour m'indiquer qu'elle venait de trouver une piste :
Un journaliste anglais s'était rendu dans un village en Roumanie où il avait interviewé au hasard un couple de roms à propos des expulsions en France sous la présidence de Sarkosi.
L'homme et la femme portaient chacun les mêmes prénoms et noms que mes parents !!!
Leur village se trouvait juste à une dizaine de kilomètres de mon lieu de naissance !!!
Entre temps, mon père m'avait apporté la plus belle preuve d'amour en m'encourageant à rechercher mes parents biologiques.
Nadine devant partir en Roumanie, je lui ai envoyé des photos de moi pour le cas où elle réussirais à trouver mes parents ou des personnes qui les connaîtraient.
Je crois que, concernant Florina tout a conspiré pour que ses parents et elle se retrouvent ! Je n'ai été qu'un maillon dans un enchaînement de circonstances favorables à des retrouvailles.
Je tiens à remercier mon compagnon qui a été partie prenante pour profiter de ce voyage touristique en Roumanie pour remplir avec moi plusieurs missions dont celle confiée par Florina.
l'épicerie |
La méfiance se lit sur les visages que nous croisons ; jamais des "non roms" ne s'arrêtent dans les villages roms, nous faisons figure d'extraterrestres. Ne parlant pas le roumain, nous nous exprimons en espagnol, langue qu'un Rom sur cinq connait un peu pour avoir effectué quelques séjours en Espagne pour des travaux saisonniers avant la crise économique.
Hébétée par notre apparition, l'épicière reste sans voix. Par chance, un client arrive qui parle espagnol. Pour le rassurer, nous lui expliquons les motifs de notre venue. Nous sortons notre "laisser-passer" : une photo de Florina, jolie comme un cœur et typée rom. Evidemment ça marche ! Il monte dans notre voiture pour nous guider.
Nous nous enfonçons dans les petites rues de terre battues où se concentrent des maisons disparates toutes inachevées. La population ici ne se compte pas en nombre de personnes mais en nombre de familles. il y en a 1500 qui ne sont pas toutes là en permanence. Chacun vaque à ses petites occupations, l’atmosphère est paisible.
On croise d'abord le fils du célèbre oncle, âgé d'une trentaine d'années. Tout va très vite, le cousin, perplexe devant les rapides explications du guide nous invite spontanément à nous installer sous l'auvent de sa maison et nous demande ce qu'on veut boire.
2 autres hommes venus de nulle part et qui semblent déjà au courant qu'une étrange énigme est à résoudre se sont aussitôt joint à eux .En moins de 3 minutes, sans que personne n'ai bougé de place, tasses remplies de café chaud, verres, bouteille d'eau minérale et de Fanta nous sont apportés par 3 jeunes personnes surgies chacune d'un endroit différent. Les 4 hommes examinent toujours les photos.Ils n'avaient jamais entendu parler de Florina mais l'évidence est là "cette fille est bien des leurs". Ils discutent âprement sur qui peut bien être la mère et qui peut bien être le père.
Averties par je ne sais qui, 3 femmes surgissent tandis que les hommes s'éclipsent comme devant l'apparition d'un chef, ou comme par pudeur vis à vis de quelque chose qui relève d'une histoire de femmes.
Devant moi, le sosie de Florina ! en plus plus âgée et plus corpulente. Je devine aussitôt à son regard pétillant qu'elle a déjà tout compris et qu'elle est la grande sœur de Florina. Ce que nos yeux expriment à cet instant c'est une immense joie et complicité, nous nous serrons dans les bras !
"on s'est souvent demandé si elle était toujours vivante...me dit-elle avant d'ajouter "Mes parents sont actuellement en France avec ma sœur et mes 3 frères dont 2 sont jumeaux!" .
Le guide, la tante et la sœur regardent chacune 1 photo de Florina |
Méfiante , cette tante scrute à plusieurs reprises les photos comme pour chercher des preuves.
Puis je sens la femme forte défaillir, sans doute des souvenirs douloureux ont-ils refait surface, des souvenirs d'un temps difficile où tous crevaient de faim, des souvenirs honteux et culpabilisants auxquels il a bien fallu survivre en essayant d'oublier. Elle tient toujours la photo mais sa main à présent tremble. Le sourire de Florina sur la photo semble lui dire "tu sais je comprends, je ne vous en veux pas, j'ai une autre famille que j'aime mais j'ai aussi besoin de vous". La vieille dame se met à fondre en larmes. Je perçois qu'elle est à la fois prise de remords, de honte et touchée par la démarche de cette petite qu'ils avaient tous abandonnée et aussi par la jeune fille qu'elle est devenue. Je la serre dans mes bras.
Elle se ressaisit, essaye de me dire quelque chose comme pour se justifier. Elle montre ses jambes et pieds. Quelqu'un traduit : "c'est parce que Florina avait un handicap..." Je comprends ce que ça signifie chez les gens misérables : aucune chance pour l'enfant de trouver un jour à se marier, une charge à vie pour la famille... Soudain elle est traversée à nouveau d'un doute, elle me questionne en montrant ses jambes et pieds "Elle veut savoir si Florina est handicapée ?"
La vieille dame ne me croit plus, elle insiste : "mais si elle avait un handicap, là !" et elle me montre toujours ses jambes et pieds.
La soeur de Florina acquiesce, elle dit qu'elle ne se souvient pas l'avoir vue mais que sa maman lui avait parlé de cette petite sœur nommée Florina qu'elle avait dû donner à l'orphelinat parce que née avec un handicap.
Au début de nos échanges, Florina avait vaguement évoqué un petit problème aux pieds, on avait enchaîné sur autre chose, puis j'étais parti 3 mois en Amérique du Sud et on n'en n'avait plus reparlé.
Tous sont suspendus à ma réponse : "oui, oui elle a un problème aux pieds, mais ce n'est rien, elle marche normalement et même elle danse !"
La vieille dame ne semble pas croire cela possible, elle parle encore aux autres, de plus en plus nombreux à s'être agglutinés autour de nous. Puis elle me demande si Florina travaille " Oui oui, elle travaille comme serveuse dans un restaurant " Tout le monde est soulagé : "si Florina peut travailler, c'est qu'en fin de compte sont handicap devait être réparable et que ses parents adoptifs ont eu la bonté de faire le nécessaire".
Je suis repartie avec les numéros de téléphone des parents de Florina et l'adresse du campement où ils se trouvent.
Je me demandais comment une jeune française qui n'a pas tout à fait 20 ans allait réagir en apprenant que ses parents vivaient dans un campement de Roms.
Il faut beaucoup d'humilité, d'indépendance de pensée et d'ouverture d'esprit pour assumer des origines tellement stigmatisées par l'opinion publique.
Superbement, Florina assume !
Florina est parfaitement lucide et, si elle ne porte aucun mauvais jugements sur ces parents biologiques elle ne les idéalise pas pour autant. Elle aime avant tout la famille qui l'a élevée et le pays où elle a grandi et puisé ses repères. Mais elle ne se sent pas non plus fondamentalement étrangère à sa culture d'origine qu'elle veut maintenant apprendre à connaître.
Pour elle, une boucle est bouclée. Elle se sent à présent riche de 2 familles de cultures totalement différentes et l'affection qu'elle porte aux uns, n'enlève rien à l'affection qu'elle porte aux autres. L'amour ne se divise pas, il se multiplie !
Florina se sent à présent allégée du poids qui la lestait, elle peut à présent regarder droit devant !
Elle formule encore un voeux : Qu'un jour, préjugés et sentiments de culpabilité soient dépassés et que ses 4 parents puissent enfin se connaître.
Nadine Delpech.
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